Chaque Québécois doit plus de 34 000 $ au provincial seulement

Vaut mieux en rire!

Avant de couper des centaines de millions dans les services, est-ce qu’on peut avoir les services ? - Michel Beaudry

12 juillet, 2008

Les règlements qui ne veulent pas mourir

Au Québec, paradis de la règlementation, on ne dérèglemente pas comme on veut. Il aura fallu attendre 21 ans pour abroger le règlement imposant la couleur de la margarine. Une règlementation aussi inutile que ridicule.

En 1987, le gouvernement Bourassa capitule devant les menaces des producteurs de lait et règlemente la couleur de la margarine. Dorénavant, la margarine sera blanche. Qu’on se le tienne pour dit, au Québec on ne tolère pas que les grosses méchantes compagnies bernent les consommateurs.

Dix ans plus tard, le ministre de l’agriculture péquiste, Guy Julien, croit qu’il est temps de rappeler ce règlement. Il en a assez d’être l’objet des railleries de ses confrères des autres provinces. Mal lui en pris, car les membres de l’UPA montèrent aux barricades et menacèrent le gouvernement qui capitula à nouveau. Lucien Bouchard expliqua à son ministre que les votes des producteurs de lait étaient plus importants que son amour propre.

Enfin, le règlement est abrogé 21 ans plus tard. François Bugingo a résumé avec humour le ridicule de cette situation. Bugingo, africain d’origine, dit avoir choisi d’immigrer au Québec en raison du débat sur la margarine : «S’ils en sont rendus à débattre de la couleur de la margarine, c’est qu’ils ont réglé tous leurs problèmes importants».

La morale de cette pénible histoire est qu’il vaut mieux y réfléchir à deux fois avant de demander un nouveau règlement, car nous en assumerons les effets pervers pendant des décennies.


Alain Dubuc
La Presse, le 5 juillet 2008
Collaboration spéciale

Les Martiens débarquent

Les producteurs de lait ont l'intention de manifester à Québec, le 11 juillet, à l'occasion d'une réunion des ministres canadiens de l'Agriculture. Ils craignent que les changements apportés à l'Accord sur le commerce intérieur, l'ACI, permettent l'annulation du règlement qui interdit de colorer la margarine en jaune au Québec.

Je n'ai pas l'intention de reprendre ici ce débat tout à fait absurde. Mais je m'étonne quand même du fait que des gens en principe sensés soient encore prêts à descendre dans la rue pour défendre une des réglementations les plus imbéciles du Québec contemporain.

Mais surtout, je voudrais souligner un contraste saisissant. La semaine même où les Martiens de la Fédération des producteurs de lait du Québec annonçaient leur invasion de la capitale, sur une autre planète, qu'on appelle Terre, l'Organisation de coopération et de développement économique, l'OCDE, publiait son étude économique du Canada.

L'un de ses cinq chapitres portait sur l'agriculture canadienne, justement pour dire que les politiques de gestion de l'offre, qui se manifestent de façon pittoresque dans le monde du lait, compromettent la viabilité à long terme du secteur. Et pour recommander que l'on abandonne progressivement ces mécanismes de contrôle.

L'OCDE dit la même chose que la Commission sur l'avenir de l'agriculture au Québec. Ce printemps, le rapport Pronovost affirmait que «le secteur agricole et agroalimentaire est en train de se refermer sur lui-même» et l'implorait de sortir du statu quo. Ce rapport n'allait cependant pas aussi loin que l'OCDE et prenait bien soin de ne pas suggérer d'abandonner le fondement du régime agricole, la gestion de l'offre et les plans conjoints.

Si je reviens sur cette manifestation en faveur de la margarine blanche, c'est qu'elle souligne l'attachement au statu quo. L'Union des producteurs agricoles et sa militante fédération laitière ont vertement dénoncé le rapport Pronovost, parce qu'elles se sont indignées d'une de ses recommandations, l'abolition du monopole syndical de l'UPA, mais aussi parce qu'elles n'ont pas du tout apprécié son diagnostic peu flatteur.

Est-ce grave? Oui, parce qu'il y a un prix à payer. Les mécanismes de gestion de l'offre ont pour but de limiter la production, pour assurer des revenus stables aux agriculteurs et éviter les fluctuations trop marquées des prix et de la production. Cela donne, par exemple pour la production laitière, un système de quotas pour contrôler l'offre, des tarifs prohibitifs pour empêcher les importations, et des prix fixés par les autorités. Cela donne des plans conjoints où la mise en marché est centralisée. En soi, l'objectif est louable. Mais les effets pervers sont considérables.

D'abord, parce que c'est le citoyen qui paie la note. L'idée noble s'est transformée en véritable arnaque. En gros, selon l'OCDE, nous payons deux fois ou deux fois et demie plus cher que les Américains pour le poulet, les oeufs, le lait, le beurre et le fromage. C'est une taxe, et elle est régressive, parce qu'elle frappe des biens essentiels.

La logique du système devient par ailleurs indécente, parce qu'au coeur d'une crise alimentaire mondiale, nos politiques agricoles cherchent essentiellement à limiter la production pour maintenir les prix. Joli paradoxe.

Au plan économique, ces mécanismes de contrôle, en créant une sécurité artificielle, mettent les producteurs à l'abri de la concurrence. Cette culture monopolistique amène de la rigidité, empêche la créativité et l'innovation. Et cela encourage l'arrogance, comme dans le dossier de la margarine où le combat corporatiste des producteurs de lait exprime une totale indifférence pour les consommateurs qui les subventionnent.

Rien ne permet donc de croire que cette industrie est capable de changer. Et personne de pourra la forcer. Car pour des raisons historiques et des raisons électorales, le poids considérable des circonscriptions rurales, le pouvoir politique est littéralement l'otage du lobby agricole.

Le gouvernement Charest, le jour même du dépôt du rapport Pronovost, s'est empressé de rejeter sa recommandation de mettre fin au monopole de l'UPA. Et le ministre de l'Agriculture, Laurent Lessard, s'est empressé de dire aux producteurs de lait qu'il ne voulait pas toucher aux règlements sur la margarine.

Morale de l'histoire? Les politiciens ne bougeront pas. Les consommateurs continueront d'être des dindons de la farce. Et les Martiens pourront retourner en paix sur leur planète.

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